Le 9 décembre 1992, Dominique Bagouet, chorégraphe du Centre chorégraphique national de Montpellier, meurt du sida à l’âge de quarante et un ans. Il fut tour à tour le boxeur gracile d’Insaisies, l’arpenteur, quasi pétrifié, des folies ordinaires dans F. et Stein ; ce petit marquis échappé de Watteau, pour découvrir le nombre d’or et la logique cunninghamienne, dans Déserts d’amour. Avant de rencontrer Mozart, dont le Divertissement 138 inspira la pantomime élégante, discrète et féérique de l’Antigone de Ricardo Bofill. Du Crawl de Lucien à Assaï, du Saut de l’ange aux Petites pièces de Berlin, ses danseurs épinglèrent dans l’espace chorégraphique des figures légères et des âmes profondes : bouffons bienveillants, sylphides farouches, diablotins rigoureux, nageurs sérieux et moqueurs (sorte d’attentifs poissons solubles dans les sentiments et les parcours bien tracés). Car, pour être jeune prodige de la danse (il obtint à vingt-cinq ans le premier prix du concours international de Bagnolet) ; pour avoir acquis les préceptes fondateurs de la pensée classique (chez Rosella Hightower à Cannes, au Ballet du Grand Théâtre de Genève, dans la compagnie Félix Blaska), il ne put se résoudre à en reconduire la thématique – soit-elle refondue par Maurice Béjart, dont il s’éloigna rapidement. Il y eut donc très vite un style Bagouet fait d’exigences, de nouveautés, de tendresse et d’attention au monde. A la fois proche de la révolution post-modern américaine et imprégné de ce sens de la mesure propre à l’Art français : difficile ajustage mais sensible recherche, qui n’eurent pas toujours la faveur qu’ils méritaient. Mais qui ne laissèrent jamais planer aucun doute sur leur sincérité, ni leur intensité. Bagouet, ce fut aussi une rencontre neuve avec la musique (il fit composer Henri d’Artois, Pascal Dusapin et Gilles Grand), mais aussi le texte (des rêveries primesautières du Saut de l’ange au désespoir pudique d’Aftalion, Alexandre d’Emmanuel Bove pour Meublé sommairement). Et dans tout cela, le désir d’être plus juste que grand, plus proche des émotions sans éclat que d’illusoires sentiments. Du reste, il évitait très vite d’être le maître, laissant à ses danseurs, dont certains sont aujourd’hui chorégraphes, la porte ouverte sur la création : Angelin Preljocaj, Bernard Glandier, Michel Kelemenis, Christian Bourigault, Fabrice Ramalingom, Hélène Cathala, Olivia Grandville et d’autres encore, en offrirent les preuves. Il y eut enfin, en novembre 1993, l’hommage que rendit l’Opéra de Paris en invitant sa compagnie à danser ce So Schnell, inspiré de la cantate BWV 26 de Bach. OEuvre majeure, en prise avec la beauté et la mort, et dans laquelle se conciliaient l’enfance et l’âge adulte, déposés sur l’autel d’un monde qui découvrit, avec la danse contemporaine, de nouvelles vérités sur la poétique des corps. Mais aussi, s’affronte sans cesse à ce qui en signifie immédiatement la clôture, et dont Jours étranges stigmatisa le déchirement.
Lise Ott, Calades, 1993
Retrouvez les spectacles de cet artiste : So Schnell 1990-2020 /