Beaucoup d’études ont été faites en musique et en peinture. Dans quel domaine inscrivez-vous les vôtres ?
Je reprends ce terme de la musique. L’idée est de produire une série de pièces courtes, de maximum vingt minutes chacune, interrogeant le corps et sa représentation, en résonance avec notre époque. Elles sont indépendantes les unes des autres mais toutes sont reliées par leur forme (inspirée de l’étude) et leur fond (le corps, nos mythologies actuelles). Nous travaillons autour d’une question spécifique par étude.
Comme un zoom sur une partie d’un travail ou sur une partie du corps ?
Comme pour une étude musicale, je mène une réflexion sur un point technique, une question chorégraphique ou une matière physique. Je ne cherche pas à développer une histoire, il n’y a pas obligatoirement de narration, en revanche la création d’un univers pour chaque étude est fondamentale. Contrairement à une pièce plus longue dans laquelle on traverse peut-être des états et matières diverses, là on sépare. Dans chaque étude, nous abordons une matière, un espace, un temps, une écriture.
Ces dix études se présentent donc sous la forme d’un atlas, d’un recueil de formes uniques qui s’enchaînent les unes après les autres…
L’atlas géographique est un recueil de cartes, images abstraites faites à un moment donné d’un territoire. L’atlas se consulte comme on veut, sans ordre préconçu. Dans notre projet, à l’image de l’atlas, les pièces n’ont pas de réel début ni de fin dans le sens dramaturgique classique du terme, mais sont comme des « instantanés sur la durée» telles des images Polaroïd, ou des cartes traduisant des situations. Les pièces sont indépendantes les unes des autres tout en formant une collection. Je m’inspire de l’atlas Mnémosyne, collection d’images de l’historien de l’art Aby Warburg, et en particulier de ses méthodes de recherche, c’est-à-dire l’assemblage d’images n’ayant à première vue aucun lien entre elles, afin de questionner une thématique.
Vous avez étudié auprès de Merce Cunningham. Dans cette pièce que reste-t-il de sa technique ?
Comme pour beaucoup de danseurs de ma génération, Cunningham a été une grande découverte. Il amenait les principes de la modernité. Dans mon travail, les danseurs se servent de nombreuses techniques différentes et entre autres de la technique Cunningham. Mais ce sont surtout des principes de composition, des façons de voir l’espace dont il s’agit là. Cunningham disait : « chaque danseur est un centre ». Il n’y a pas d’étoiles, l’espace est mobile, le centre – quand il y en a un – peut changer d’endroit, la relation à l’espace se modifie sans cesse. Cunningham c’est aussi tout ce travail sur les principes de hasard. D’une certaine manière nous reprenons ce principe dans le sens où les danseurs travaillent avec des systèmes de composition instantanée. C’’est-à-dire que pour chaque étude, nous composons un certain nombre de mouvements ou de matières qui constituent une sorte d’alphabet, comme si nous inventions une langue. Ensuite avec ce language, nous créons des conversations légèrement différentes à chaque fois. L’écriture chorégraphique voyage entre figuration, narration et abstraction, en rapprochant et en assemblant des matières, des mouvements et des images faisant partie de notre « banque d’images » et de notre « mythologie collective » actuelles. Le tout parle du corps actuel et des histoires qu’il raconte.
Est-ce que vous cherchez à révéler l’histoire de la danse contenue en chacun des corps de vos interprètes et à l’actualiser ?
Non. Pas spécialement, mais j’en tiens compte et je ne cherche pas à l’effacer non plus. Je cherche des états de corps, différents pour chaque étude. Mais je cherche aussi une écriture des corps dans l’espace et le temps. Je suis attirée par des choses très graphiques et à la fois très organiques, j’essaie de trouver un équilibre entre rigueur et liberté chorégraphique. C’est aussi un des challenges de ces études pour les danseurs, c’est qu’ils doivent être polyvalents, ils doivent pouvoir passer d’une matière à une autre, qui peuvent être diamétralement opposées. Par contre, pour toutes les études, les danseurs doivent se mettre dans un état mental de performeur, dans le choix du ressenti plutôt que dans l’exécution et la représentation. Ils doivent « être », et non pas « jouer ». L’écriture instantanée telle qu’ils la pratiquent dans presque toutes les études exige cela.