Le Festival Montpellier Danse, avec ses trente-sept ans, est dans l’âge qui permet la réflexion, nourrie de la sagesse que donne l’expérience. Il est important que nous en partagions les questions.
La première concerne, évidemment, l’art de la danse contemporaine. Tous savent maintenant que celle-ci s’est émancipée de formes anciennes pour trouver un langage, un rythme et un mode d’expression qui parlent du monde d’aujourd’hui. Mais l’heure n’est plus, comme dans la comédie de Molière, de savoir qui de la danse, de la musique ou de la rhétorique est l’art le plus abouti. Nous arrivons peut-être au moment où la conjugaison des arts, du théâtre à la musique, de la danse à l’image, est porteuse d’un art complexe et total, interrogatif et expressif, qui nous parlerait de la société en train de se construire sous nos yeux. L’art de la danse, loin de suivre les habitudes, participerait à cette production, complexe et contradictoire, du vivre ensemble. La deuxième question s’adresse précisément à cette société qui est à la fois l’auteur et le spectateur de cet art. Il est de bon ton, aujourd’hui, de célébrer le retour des formes anciennes, celles précisément que l’art contemporain a déconstruites et renversées. Cette vision cyclique de l’histoire où le passé revient au présent, comme pour célébrer les vertus anciennes, est une vieille rhétorique où il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Au contraire, l’histoire ne revient jamais en arrière : notre société réutilise des techniques et des inédit. Le mélange des genres auquel nous assistons n’a rien à voir avec une nostalgie d’un passé définitivement clos, mais il nous parle de créativité.
Enfin, la troisième question concerne ceux qui nous gouvernent, anciens ou nouveaux. Le risque aujourd’hui n’est pas celui d’une conception autoritaire d’un art officiel, où le prince déciderait des formes et des modalités de l’art. Le risque, tout à l’inverse, est une vision romantique de la création artistique, réalisée dans le dénuement avec pour tout viatique le génie de l’inspiration. Ce serait renouer avec ce courant d’idée que, pour protéger l’artiste, il faut se retirer du champ de création. Or, s’il est évident que l’art, particulièrement la danse, ne peut se créer que dans la liberté, il est tout aussi urgent de rappeler que l’homme ne vit pas de pain seulement et que la société doit reconnaître la mission d’intérêt général que remplit la création artistique. Nous ne parlons pas ici de l’intérêt à aider une production qui entraîne des « retombées économiques » : nous parlons de la place que doit occuper l’art et spécialement la Danse dans la manière dont se nouent les rapports sociaux, dans la réalisation de cette architecture qui s’appelle un contrat social, dans le projet fou de participer à un bonheur collectif qui, comme l’avait pressenti Saint Just, est toujours « une idée neuve ».