Vous avez réintégré en 2015, avec votre compagnie, Ram Dam à Sainte-Foy-lès-Lyon, une ancienne menuiserie que vous aviez achetée en 1995 avec vos droits d’auteur, sentiez-vous que le vent pouvait tourner et pouvez-vous nous décrire le lieu ?
J’ai pris cette ancienne menuiserie parce qu’il n’y a avait pas de poteau au milieu et qu’il n’y aurait pas d’énormes travaux pour que l’espace soit utilisé toute de suite par les artistes. On a mis un plancher de danse, il y a deux studios, des caravanes pour héberger les artistes, des loges, des bureaux, une cuisine. En 2 000, grâce à la Région et la Drac, nous avons pu offrir le lieu aux artistes, avec deux permanents.
Pour répondre à l’autre question, je pense que le soutien public est nécessaire, mais il y a tellement de variations dans ces soutiens…Donc, c’est toujours mieux, quand on peut le faire d’avoir un espace où l’on peut se réfugier.
Passion(s) est un projet typiquement Ram Dam.
Oui, c’est un laboratoire artistique. Le projet a été initié par Florence Girardon, une chorégraphe de Saint-Etienne que j’avais déjà accueillie, soutenue. Nous sommes 9 artistes, cinéastes, chorégraphes, danseurs, metteurs en scène, 9 auteurs qui avons mis nos forces en commun. On s’est prêté les uns aux autres. On s’est tous mis à disposition pour dédier du temps à ce projet. J’ai une compagnie permanente de 11 danseurs que j’arrive à maintenir, même si, à chaque fois on se pose la question de son maintien. Chacun s’est mis à la disposition de Passion(s), un projet autour de la Passion selon St Matthieu de Bach qui réunit 20 acteurs et 5 techniciens. Ici, j’ai fait une pièce et je suis aussi interprète. On s’est vraiment prêté les uns aux autres.
Cela fait penser à des modes de fonctionnement des années 70-80
Oui, à cette époque, on n’avait pas un rond et l’on dégageait du temps pour le travail artistique auquel on était attaché, on se débrouillait. On travaillait ailleurs, comme certains dans la compagnie de Dominique Bagouet qui faisaient des ménages. Là où il n’y a pas d’argent, comme au Brésil, par exemple, les gens prennent sur leur propre temps et produisent. C’est fou, Passions, c’est comme ça, ça donne beaucoup d’énergie, on n’est pas dans l’attente, on agit sur les choses et ça fait bouger.
Puisque le festival aborde la question de la censure, comment réagissez-vous face à ce que vous avez-vous-même subi, lors d’un spectacle où vous mettiez le Christ en représentation et lorsque des spectateurs sont montés sur scène pour interrompre votre spectacle Umwelt à Décines en 2004 ?
L’artiste n’est pas consensuel, il ne s’aligne pas sur ce que la société dégage, même en terme de valeur. L’artiste se pose la question éthique de ce qu’il est entrain de dire mais pas de ce qu’il peut dire ou pas. On ne peut être régi par la peur, or c’est ce qui se passe. Cette censure, elle existe. Si on a peur de se faire tuer dans un pays parce que l’on va dire telle ou telle chose ou de se faire arrêter, ici, en France, il faut avoir du courage pour sauver cet esprit où chacun a une liberté d’expression qui est la sienne. Peu importe le risque encouru… bon, c’est facile à dire… Je me souviens d’un groupe espagnol La Cuadra de Sevilla qui, en 70, du temps de Franco qui, en travaillant sur des formes traditionnelles de chant, musique et danse disait par les mots des choses de libération contre le franquisme. C’est comme dans les chansons populaires pendant les temps de guerre, de résistances, les gens s’emparent du répertoire pour le détourner. Pour ne pas risquer nos vies comme dans certains pays où les artistes (et pas seulement eux) sont menacés, on va trouver des moyens de subversion qui sont artistiques, engagés, sans peur, des choses qui passent sous le manteau.
Ici la censure est insidieuse, pernicieuse, mais nous ne risquons pas notre peau, quand même, donc n peut y aller. Si on n’arrive pas à le faire ici, alors, c’est qu’on a vraiment la trouille. Car on ne risque rien, sinon qu’un spectateur arrête, certes violemment, un spectacle, et bien tant pis !