Présentez-nous votre nouvelle création ?
Le projet NECROPOLIS a commencé avec la découverte d’une liste élaborée par l’organisation UNITED. Cette liste accumule, depuis 1993, tous les cas de décès de migrants ayant perdu la vie en essayant de rejoindre l’Europe. Quand nous avons découvert cette liste, nous nous sommes demandés comment la retranscrire dans notre domaine ; la chorégraphie. L’un des outils que nous avons exploré est la cartographie : comment utiliser la liste comme base d’une carte parallèle pour une compréhension du monde dans lequel nous vivons.
S’agit-il d’une volonté d’éveiller les consciences, de bousculer les spectateurs ?
Nous entendons beaucoup parler d’événements individuels : que ce soit une personne en train de mourir en centre de détention ou du fait d’une altercation avec la police, que ce soit un grand groupe de personnes mourant en mer parce que leur bateau coule… Finalement, nous ne sommes pas au courant de la globalité de ces événements. La liste de UNITED nous donne une image très différente. En avril 2019, la liste mentionnait plus de 36 000 personnes. Sur ces personnes, seulement un millier d’entre-elles sont mentionnées par leur nom, les autres sont non-identifiées, leur nom est inconnu. Nous voulons donc nous concentrer sur cette communauté qui est présente mais aussi absente. Ce sont des histoires qui ne sont pas résolues, des identités qu’il faut encore chercher, et nous voulons mettre l’accent sur le fait que nous devrions être hantés par cette communauté qui meurt autour de nous encore aujourd’hui.
Construisez-vous votre processus chorégraphique à partir de ces documents ou est-ce que tout se construit et s’articule en même temps ?
La principale question sur laquelle nous travaillons c’est la question de transposition : comment un document peut être transformé et articulé autour d’un espace tel que la scène. Nous utilisons souvent les technologies parce que nous parlons de réalités qui sont extérieures à l’espace d’un théâtre, selon un contexte social ou politique précis. Plus particulièrement des vidéos pour fournir une fenêtre sur ce qui se passe à l’extérieur du théâtre. Quand nous regardons la liste, et plus particulièrement les noms absents, une question se pose automatiquement : « où sont leurs corps ? ». Nous avons donc effectué des recherches afin de savoir où sont ces corps et c’est en quelque sorte la base de notre cartographie. La carte que nous créons est construite depuis les lieux où les corps des migrants décédés sont placés. Cette architecture, nous l’appelons Necropolis, la ville des morts, la ville où nous sommes tous en train de vivre en ce moment.
Qu’est-ce que cela représente pour vous de venir présenter cette création à Montpellier Danse ?
Montpellier Danse occupe une place centrale dans le domaine de la danse. Je suis très heureux d’être là, de présenter mon travail ici. C’est aussi un challenge, car mon travail est un challenge : chorégraphier des sujets lourds politiquement qui d’une certaine manière échappent à notre regard. Depuis ces dernières années, c’est un véritable défi de charger un dispositif chorégraphique d’actualités, parfois brutales, à travers la présence de matériels documentaires. Je suis également intrigué de voir quels genres de débats ce type de travail peut créer ici, notamment du fait de la place importante qu’a ce festival en France. Nous vivons un moment très spécifique où nos idées préconçues du monde sont en train de disparaître et je me demande comment cela peut affecter le domaine artistique en tant qu’espace de libre parole, contemplation, critique et action.